Changer le nom d’un volcan sous-marin, ça ne bouleverse pas le paysage. Mais pour la mémoire d’un peuple, pour la science, pour la manière dont on raconte l’histoire d’un territoire, cela change tout.
En juillet 2021, le Conseil des noms géographiques des États-Unis a officiellement validé le remplacement du nom « Lōʻihi » par « Kamaʻehuakanaloa » pour désigner le volcan sous-marin situé au sud-est de l’île d’Hawaï. Cette décision fait suite à une demande provenant de la communauté autochtone hawaïenne, appuyée par des chercheurs et des institutions scientifiques locales.
Le choix du nouveau nom s’inscrit dans une démarche de reconnaissance culturelle et scientifique. Il répond aussi à la volonté d’utiliser une appellation reflétant l’histoire et la langue du peuple hawaïen, tout en facilitant la transmission des connaissances sur ce volcan encore méconnu.
Pourquoi le volcan Lōʻihi porte-t-il désormais le nom de Kamaʻehuakanaloa ?
Le volcan sous-marin, jusqu’alors identifié sous le nom de Lōʻihi, arbore désormais une nouvelle identité : Kamaʻehuakanaloa. Cette évolution, actée par le Hawaiʻi Board on Geographic Names, n’a rien d’anodin ni d’opportuniste. Elle traduit la volonté affirmée de replacer le patrimoine linguistique et l’héritage spirituel des autochtones au cœur de la toponymie.
Le nom « Kamaʻehuakanaloa » ne surgit pas de nulle part. Sa sélection a fait l’objet d’une concertation étroite entre scientifiques, représentants de la culture locale et institutions. L’objectif : réinscrire le volcan dans l’univers des entités naturelles respectées par les Hawaïens. Ce nom tisse des liens profonds entre le volcan, la Grande île d’Hawaï et tout un pan de récits fondateurs. Littéralement, Kama’ehuakanaloa signifie « l’enfant rouge de Kanaloa », référence explicite au dieu de l’océan, qui incarne la puissance des éléments et relie la terre émergente à l’océan environnant.
Pour mieux cerner les étapes de cette transformation, voici ce qui a guidé la décision :
- L’adoption officielle a eu lieu en juillet 2021, à l’issue d’une consultation publique et de l’avis d’experts.
- Le Board on Geographic Names s’est appuyé sur les recommandations venues à la fois du monde académique et de ceux qui transmettent la tradition orale.
- La volonté affichée : replacer le volcan dans une continuité identitaire propre à l’archipel d’Hawaï.
Contrairement à « Lōʻihi », simple qualificatif signifiant « long » en hawaïen, Kamaʻehuakanaloa porte une charge symbolique nettement plus forte. Ce choix rend au volcan sa place dans l’imaginaire sacré, en cohérence avec la mémoire collective et les mythes qui traversent l’île d’Hawaï. Ce n’est pas une formalité administrative ni un geste anecdotique : c’est un retour à la racine, celle où la géographie épouse la mémoire et la cosmogonie.
Le volcanisme sous-marin à Hawaii : un phénomène naturel fascinant et méconnu
À une trentaine de kilomètres au sud-est de l’île d’Hawaï, dissimulé sous plus de mille mètres d’eau, repose un géant discret : Kamaʻehuakanaloa, longtemps catalogué sous le nom de « Lōʻihi ». Ce relief volcanique, dont le sommet reste bien enfoui sous la surface, s’inscrit dans la dynamique créatrice qui façonne les îles hawaïennes. Nulle part ailleurs, la naissance d’un archipel volcanique ne s’observe avec autant d’évidence.
La croissance de ce volcan sous-marin se joue loin des regards. Dans l’obscurité des profondeurs, seuls les appareils de mesure tracent la progression du mont. Selon les relevés du USGS et de l’HVO, Kamaʻehuakanaloa s’élève lentement, rythmé par une activité éruptive régulière. Par ses fissures s’échappent des panaches hydrothermaux, véritables geysers de minéraux, qui nourrissent une vie adaptée à l’extrême : poissons, crustacés et bactéries prospèrent là où la chaleur et l’acidité seraient fatales ailleurs.
Ces éruptions, si discrètes qu’elles n’offrent pas le spectacle incandescent du Kīlauea, participent pourtant à l’édification d’une nouvelle terre. Les scientifiques, à l’image de Claude Grandpey, considèrent ce volcan comme un laboratoire grandeur nature. Chaque échantillon prélevé, chaque instrument ancré sur ses pentes, permet de mieux saisir les rouages de la dynamique volcanique et des processus enfouis sous la croûte du Pacifique.
Quelques éléments pour mieux mesurer l’ampleur du phénomène :
- Kamaʻehuakanaloa s’étend sur près de 80 km de long, rivalisant sans peine avec les plus grands volcans visibles.
- Les recherches menées par l’HVO et l’USGS attestent d’une activité continue depuis plusieurs décennies.
- La progression du volcan, encore invisible à la surface, laisse présager l’émergence d’une future île au large de la Grande île d’Hawaï.
Entre science et culture : l’importance du nouveau nom dans la tradition hawaïenne
Le nom « Kamaʻehuakanaloa » adopté par le Hawaii Board on Geographic Names ne se résume pas à une reformulation sur un plan administratif. Attribuer un nom à un volcan sous-marin exige une attention particulière : il s’agit de concilier les savoirs scientifiques, les traditions linguistiques et les mémoires culturelles. Ici, c’est tout le respect pour la tradition hawaïenne qui s’exprime, à travers un choix pensé et débattu.
Ce nom ne répond à aucune tendance passagère. Il s’enracine dans la volonté de mettre en lumière l’héritage ancestral et la signification profonde des lieux dans la vision du monde hawaïenne. Héritée de la transmission orale, la désignation Kamaʻehuakanaloa évoque la teinte rougeâtre, « ehu », des coulées volcaniques, tout en rappelant l’appartenance du volcan à l’océan, domaine de Kanaloa, l’une des figures majeures de la mythologie locale. Des spécialistes, dont Claude Grandpey, saluent cette démarche où la rigueur scientifique marche de pair avec la préservation d’un patrimoine immatériel.
Voici comment ce processus s’organise concrètement :
- La Hawaii Board on Geographic Names sollicite systématiquement linguistes et gardiens de la mémoire locale à chaque étape de nomination.
- Le nom retenu, Kamaʻehuakanaloa, s’inscrit dans la lignée des volcans de l’archipel, rappelant l’attachement profond à l’histoire et à l’identité insulaires.
Du côté des chercheurs, l’initiative est accueillie avec respect. Loin d’être un simple mot sur une carte, le nom du volcan scelle la rencontre entre le savoir accumulé et la culture vivante. Voilà comment, sous la surface, un volcan continue de façonner non seulement la géographie, mais aussi la mémoire et l’imaginaire collectif d’Hawaï.